Jean Raspail - © Lionel Allorge

Tombeau de Jean Raspail – Sonnet


Jean Raspail - © Lionel Allorge
Jean Raspail – © Lionel Allorge

Voici venue pour vous la douceur du tombeau ;
Et votre esprit agile enfui d’un corps mortel,
Après avoir brandi le lucide flambeau,
Avoir tant défendu et le Sceptre et l’Autel,

Enfin tant évoqué les rêves les plus beaux,
Vagabonde à présent sur la rive éternelle.
Bientôt croasseront les plus hideux corbeaux
Proférant, travestis, que votre œuvre était belle.

Oh, ils diront partout, mais pour vous oublier,
Que vos livres jouaient avec le sablier,
Teintés d’une atmosphère obscure et nostalgique,

Âpres et exaltants, et presque liturgiques :
L’écho multiplié d’une morte saison ;
Mais ils ne diront pas que vous aviez raison.

N.B. J’ai écrit ce poème il y a plus de dix ans, à un moment où quelque rumeur le disait près d’expirer. À la relecture, j’en changerais volontiers la plupart des vers mais, ayant pris connaissance d’un certain nombre de nécrologies, certainement pas le dernier.

Tombeau du Docteur Dor (Sonnet)


Sur vous un lourd cercueil, un cercueil non de bois,
Mais de mépris, d’oubli, de vague indifférence,
S’est refermé ; hélas, sous ce couvercle immense
Gît la gloire et l’honneur que le pays vous doit.

Brisons sans hésiter cet indigne silence !
Mais qui vous chantera, vous et vos doux exploits,
Vous dont toute la vie fut de servir la loi,
Vous qui fûtes un juste, un des rares de France ?

La veille des Rameaux, l’infirmière, sans bruit,
Entre dans votre chambre ; épuisée par la nuit,
Elle voit vos yeux clos et se dit : « C’est qu’il dort. »

Mais une autre réplique : « Oh non, tout est fini.
– Pourtant, fait la première, on dirait qu’il sourit. »
Votre âme voit son Dieu, S’y repose et L’adore.

 

Saint Marc - Jean Bourdichon

Saint Marc – Offertoire (Sonnet)


Ant. ad Offertorium. Ps. 88, 6.
Confitebúntur cæli mirabília tua, Dómine : et veritátem tuam in ecclésia sanctórum, allelúia, allelúia.

Saint Marc - Jean Bourdichon
Saint Marc – Jean Bourdichon

Seigneur, Dieu d’Israël et Roy de l’univers,
Je tourne mes deux pauvres yeux
Vers l’infinie splendeur de Vos grandioses cieux,
Et dans ma ferveur, je me perds.

Oh, que de gloire échappe au vantail entrouvert !
Rabats ta superbe, orgueilleux,
Quant le peu que tu vois est déjà merveilleux
Et bien supérieur à tes vers !

Seul le Ciel peut chanter la beauté du Très-Haut :
Après des rythmes idéaux
Cours, mais ne crois pas les atteindre.

Ma rime, cherche à ressembler
Aux cantiques bénis que les saints rassemblés
Font monter face au Feu qui ne peut pas s’éteindre.

Cranach - La Résurrection

Jeudi de Pâques – Introït (Sonnet)


Ant. ad Introitum. Sap. 10, 20-21.
Victrícem manum tuam, Dómine, laudavérunt páriter, allelúia : quia sapiéntia apéruit os mutum, et linguas infántium fecit disértas, allelúia, allelúia.
Ps. 97, 1.
Cantáte Dómino cánticum novum : quia mirabília fecit.
V/.Glória Patri.

Cranach - La Résurrection
Cranach – La Résurrection

Entendez, fils d’Adam, les trompettes de gloire
Et tous les chœurs du Roy des Cieux
Célébrer dans la joie Sa terrible victoire
Et Son bras victorieux.

La Sagesse divine a montré Son pouvoir
Et fait parler le silencieux ;
La bouche du muet, Il l’a remplie d’espoir
Et du désir de Dieu.

Acclamez le Seigneur, exaltez-Le, vous dis-je,
Car pour nous délivrer Il a fait des prodiges
Et des merveilles de Ses mains.

Entendez donc Sa voix ! Écoutez ! Que dit-elle ?
« Chantez de nouveaux chants et des hymnes nouvelles
Aujourd’hui et demain. »

Saint Jean Baptiste

Mercredi des Quatre-Temps d’Avent – Secrète (Sonnet)


Secreta.
Accépta tibi sint, quǽsumus, Dómine, nostra ieiúnia : quæ et expiándo nos tua grátia dignos effíciant, et ad sempiterna promíssa perdúcant. Per Dóminum.

Saint Paul de Thèbes, ermite - José de Ribera
Saint Paul de Thèbes, ermite – José de Ribera

Oh, que mon ventre crie famine,
Que mon corps est faible et souffrant !
Je mangerais de la farine
Pour satisfaire mon tyran !

Mais manquer des faveurs divines,
Voilà qui t’est indifférent ;
Des deux malheurs, pauvre vermine,
Sais-tu lequel est le plus grand ?

Voici le Pain pour te nourrir
Sans lequel tu devras mourir
D’un trépas plus que mérité.

Que ton âme, dans le silence
Et le jeûne, expie ses violences
Pour recevoir l’éternité.

Le martyre de saint Chrysanthe et de sainte Darie

Saint Chrysanthe et sainte Darie – Communion (Sonnet)


Ant. ad Communionem. Sap. 3, 4, 5 et 6.
Et si coram homínibus torménta passi sunt, Deus tentávit eos : tamquam aurum in fornáce probávit eos, et quasi holocáusta accépit eos.

Le martyre de saint Chrysanthe et de sainte Darie
Le martyre de saint Chrysanthe et de sainte Darie

Ils ont souffert
Mille tourments :
Le feu, le fer,
Terriblement !

À Dieu le Père
Dans ces moments
Ils ont su plaire
Splendidement.

Dans cette mort,
Ils miment l’or
Qu’on purifie ;

Et leur modèle
Est l’humble agnel
Qu’on sacrifie.

Christ Pantocrator - Dôme du Saint-Sépulcre - CC bachmont

Vingt-et-unième dimanche après la Pentecôte – Graduel [extrait] (Sonnet)


Graduale. Ps. 89, 1-2.
Dómine, refúgium factus es nobis, a generatióne et progénie.
[…]

Christ Pantocrator - Dôme du Saint-Sépulcre - CC bachmont
Christ Pantocrator – Dôme du Saint-Sépulcre – CC bachmont

Seigneur, qui contre nous avez tant de raisons
De Vous mettre en colère,
Et qui sur nos esprits, nos villes, nos maisons
Pourriez avec justice envoyer des éclairs ;

Vous daignez protéger, malgré la trahison,
Les hommes de la terre,
Car Votre amour, Seigneur, est sans comparaison,
Rien ne peut prévaloir sur Votre cœur de Père.

Certain esprit qui rôde aimerait nous leurrer,
Et susurre à nos cœurs : « Près de moi demeurez ;
Le criminel va-t-il dans les bras de son juge ? »

Mais c’est Vous, ô Seigneur, pour le pécheur contrit,
Pour l’homme repentant qui répare et qui prie,
Vous, l’unique refuge.

Saint Philippe - Saint Jean du Latran - CC Zavatter

Saints Philippe et Jacques – Introït (Sonnet)


Ant. ad Introitum. Neh. vel 2 Esdr. 9, 27.
Clamavérunt ad te, Dómine, in témpore afflictiónis suæ, et tu de cælo exaudísti eos, allelúia, allelúia.
Ps. 32, 1.
Exsultáte, iusti, in Dómino : rectos decet collaudátio.

Saint Philippe - Saint Jean du Latran - CC Zavatter
Saint Philippe – Saint Jean du Latran – CC Zavatter

Ils Vous ont supplié quand ont coulé leurs pleurs,
Lorsque leurs corps et leurs esprits
Soudain ont défailli sous le poids du malheur,
Ils ont porté vers Vous leurs plaintes et leurs cris.

Ils Vous ont imploré, et du Ciel, ô Seigneur,
Votre aide ne s’est point tarie ;
Leurs larmes ont ouvert les fontaines d’un cœur
Qui vient désaltérer les cœurs qui sont meurtris.

Justes, réjouissez-Vous, tressaillez d’allégresse,
Acclamez sans fin votre Dieu,
Et chantez Sa bonté, Sa force et Ses largesses.

Ô vous qui vivez dans les Cieux,
Ô vous, saints, qui l’avez suivi jusqu’au Calvaire,
C’est à vous de louer le Roy de l’univers !

Saint Mathias - Simone Martini

Saint Mathias – Graduel (Sonnet)


Graduale. Ps. 138, 17-18.
Nimis honoráti sunt amíci tui, Deus : nimis confortátus est principatus eórum.
V/. Dinumerábo eos, et super arénam multiplicabúntur.

Vêtus d’habits de gloire, et rayonnant d’honneur,
Tels sont récompensés Vos fidèles amis,
Et tels sont-ils, ô mon Seigneur,
Comme Vous leur avez promis.

Eux qui, sur cette terre, ont versé tant de pleurs,
Et, ne pouvant Vous voir, ont si souvent gémi,
Le Ciel les a faits empereurs
Juste après les avoir admis !

Quelle est cette folie ? Chercherais-tu, mon œil,
A dénombrer ces rois plus nombreux que les feuilles
Des arbres de mille forêts ?

Compte plutôt le sable entassé par la mer,
Car ils sont, du soleil éclairant l’univers,
Les incommensurables rais.

La Sainte Famille - CC Père Igor

La Sainte Famille – Communion (Sonnet)


Ant. ad Communionem. Luc. 2, 51.
Descéndit Iesus cum eis, et venit Názareth, et erat súbditus illis.

Humilité du Christ, admirable entre toutes,
Que le Seigneur si bon accorde aux orgueilleux,
Dont la bouche et l’esprit sont si secs, une goutte
Qui puisse nous ouvrir et le cœur et les yeux !

Ô Jésus, Vos parents angoissés sur la route,
Ne Vous retrouvant plus, Vous cherchent en tous lieux ;
Quand ils Vous voient enfin, des sages Vous écoutent
Témoigner devant eux que Vous connaissez Dieu.

Car Vous manifestiez la connaissance intime
Que Vous avez du Père, et les liens si étroits
Que Vous entretenez dans Votre union sublime.

Pourtant, Vous, le Seigneur, le Monarque et le Roy,
Avez daigner vouloir, malgré Votre puissance,
A deux êtres humains prêter obéissance.

Sainte Odile - CC Remi Leblond

Sainte Odile – Communion (dans le diocèse de Strasbourg) (Sonnet)


Ant. ad Communionem. Ps. 35, 10.
Apud te est fons vitæ, et in lúmine tuo vidébimus lumen.

Mes yeux ont lentement parcouru l’univers ;
L’obscurité planait sur un vaste désert.
Sur le sol craquelé, d’affreux ossements blancs
Heurtaient, ralentissaient mes pauvres pieds tremblants.

Ma langue était pâteuse et chargée de poussière,
Hélas ! Que j’avais soif dans ce grand cimetière !
Mon corps, cadavéreux, comme à demi vivant,
Rêvait d’un peu d’eau pure et d’un souffle de vent.

Mais au-dessus de l’ombre et de la terre aride
S’étend un beau jardin, luxuriant et splendide,
Où coulent des ruisseaux de lumière et de vie.

Jamais Votre soleil n’y termine sa course,
Et jamais, Seigneur Dieu, n’y tarit Votre source ;
A jouir de chacun d’eux, Votre main nous convie.

Image : Sainte Odile – CC Remi Leblond

Saint Simon et saint Jude - CC Rh-67

Saints Simon et Jude – Offertoire (Sonnet)


Ant. ad Offertorium. Ps. 18, 5.
In omnem terram exívit sonus eórum : et in fines orbis terræ verba eórum.

Les peuples de la terre
Entendirent leur voix.
Les hommes écoutèrent
Les envoyés du Roy.

Seigneur, pour Vous complaire,
Brandissant Votre Croix,
Aux gentils ils montrèrent
Votre impeccable voie.

Jusqu’aux confins du monde,
Sur la poussière et l’onde,
Vous les avez conduits.

Par eux Votre Évangile
Illumina cent villes
Et rejeta la nuit.

Eclair sur Nantes - CC Loïc Le Ninan

Dix-neuvième dimanche après la Pentecôte – Offertoire – Sonnet


Eclair sur Nantes - CC Loïc Le Ninan
Eclair sur Nantes – CC Loïc Le Ninan

Ant. ad Offertorium. Ps. 137, 7.
Si ambulávero in médio tribulatiónis, vivificábis me, Dómine : et super iram inimicórum meórum exténdes manum tuam, et salvum me fáciet déxtera tua.

Si je marche au milieu d’un chemin de souffrances,
Si la ronce et l’épine et le rocher blessant
A chacun de mes pas s’abreuvent de mon sang,
Je sais que du Seigneur viendra la délivrance.

Si l’ennemi me dit : « Vois quelle indifférence
Le dieu de ta prière a pour les innocents !
Tes cris sont aussi vains que le fut ton encens »,
Rien ne pourra m’ôter ma céleste espérance.

Le sage serviteur qui L’aura bien servi
Recevra sans tarder et l’honneur et la vie
De l’invincible main du Roy de l’univers.

Et sur les audacieux qui s’opposaient à Lui,
Sa droite s’abattra, comme on voit dans la nuit
L’éclair frapper le sol sous les coups de tonnerre.

Marie de Médicis accueillie à Marseille (Rubens)

Le triomphe de la nullité – Récréation – Sonnet #7


Marie de Médicis accueillie à Marseille (Rubens)
Marie de Médicis accueillie à Marseille (Rubens)

Pour ceux qui se demandent pourquoi, malgré la nullité de mes vers, je m’obstine à en écrire.

Alors que par hasard j’avais l’esprit lucide
Ma plate nullité m’apparut clairement :
« J’existe ! Me voici. Regarde donc, stupide,
La reine de tes vers comme de tes romans.

Tu te croyais génial et la tête gravide ?
Fi ! L’imbu de lui-même ! Il le pensait vraiment !
Contemple ta pauvre œuvre où paresse un grand vide :
Sur chacun de tes mots je règne fermement.

Même un mauvais lecteur apercevrait sans peine
Qui dans tous tes écrits est la vraie souveraine,
Et dirait : « c’est si nul que ça tient du génie. »

Mais puisque par tes soins mon triomphe est immense,
Reçois sans plus tarder ta juste récompense :
Entre dans la prison de l’aveugle déni.